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Lester Gonzalez Penton et Misladys en Espagne |
Le couple niche dans un deux-pièces au centre de Mostoles, en banlieue Sud de Madrid. Lester Gonzalez Penton, 33 ans, et sa compagne, Misladys, 26 ans, sont arrivés à Madrid le 13 juillet. Autrefois boulanger à Santa Clara, au centre de Cuba, Lester a goûté dès 1999 au journalisme clandestin, engagé par Radio Marti et le site Cubanet. Jusqu’à la rafle du 18 mars 2003, baptisée "le Printemps noir de Cuba", date fatidique pour 75 dissidents jetés en prison.
Comme les autres, Lester a passé sept ans et quatre mois dans les geôles du castrisme. Il parle avec douleur de sa détention : cellule sale, rats et cafards, excréments envahissants par temps de pluie, criminels mués en gardiens, visites trop espacées, maladies et kilos perdus. Il a du mal à évoquer sa première femme, qui l’a quittée très vite, le privant aussi de sa fille de 1 an. Il raconte en revanche le coup de fil reçu le 8 juillet dernier en prison : le cardinal Jaime Ortega, archevêque de La Havane, lui demandait au nom du gouvernement s’il acceptait l’exil en Espagne. Comme les autres, Lester aurait voulu vivre libre à Cuba. Sur le passeport de Misladys, sa compagne rencontrée à l’hôpital peu avant le départ, il montre le tampon absurde : "Permis de sortie définitive." Ils ont laissé leurs filles sur l’île. Celle de Lester, restée avec sa mère, a 8 ans ; celle de Misladys, élevée par sa grand-mère, 5 ans. De quoi aiguiser la souffrance de l’exil, vécu comme un bannissement. "Je ne peux pas m’adapter à l’Espagne, confie Lester. Je pense aux amis en prison, à ma famille restée là-bas, à mon pays."
Depuis juillet 2010, les dissidents cubains graduellement libérés arrivent en Espagne. "Ils sont 54, accompagnés de proches, soit 372 personnes au total", précise Jose Javier Sanchez Espinosa, sous-directeur à la Croix-Rouge, chargée de leur accueil. À Vallecas, un quartier semé de terrains vagues, l’hôtel Welcome abrite les Cubains fraîchement débarqués. Des hommes déboussolés puisque les autorités cubaines les ont conduits directement de la prison à l’aéroport, sans même passer par la case maison.
"J’aurais aimé rester une semaine dans mon quartier, pour revoir les lieux et les amis", admet Mijail Barzaga Lugo, 43 ans, chauffeur de bus recruté lui aussi par Cubanet. Un "contre-révolutionnaire" condamné en avril 2003 à 15 ans de prison, pour "atteinte à l’intégrité territoriale de l’État" ! Mijail, arrivé en juillet avec dix membres de sa famille, a hâte d’emménager dans l’appartement que la Croix-Rouge a fini par leur dégoter. Il en a assez de l’hôtel Welcome, bruyant avec ses demandeurs d’asile africains et maghrébins, son manque d’intimité et sa nourriture médiocre. À son côté, sa sœur Belkis, 46 ans, opposante détenue un an pour avoir réclamé la libération de prisonniers politiques, se morfond aussi. Son but ? "Continuer de lutter pour faire tomber ce régime." À La Havane, ne faisait-elle pas partie de ces Dames en blanc qui, chaque dimanche, manifestaient sur la Quinta Avenida, dans l’église Santa Rita, un glaïeul à la main ? "Ce prix Sakharov donné aux Dames en blanc en 2005, comme celui attribué à Guillermo Fariñas en 2010, nous aident précieusement. Il est bon que Cuba soit désignée comme une dictature", estime-t-elle.
Dans l’Espagne frappée par la crise économique, où le taux de chômage atteint 20 %, les Cubains en attente d’un statut de réfugié voient leur avenir en gris. Même si le gouvernement de José Luis Zapatero leur délivre une aide d’environ 500 €, ils ne sont pas sûrs de travailler un jour. "J’attends en vain l’homologation des diplômes universitaires promise par le pouvoir", s’inquiète Alfredo Manuel Pulido Lopez, stomatologue réputé, fondateur d’une agence de presse à Camagüey. Installé en Andalousie, à Jerez de la Frontera, Alfredo n’a pu rester à Madrid faute d’hébergement suffisant. Un problème qui a donné lieu à une bronca des Cubains, critiqués en retour pour leur ingratitude.
"Le pays, pourtant disposé à les intégrer, a mal vécu ces critiques", reconnaît Julia Fernandez, la directrice d’ACCEM, autre ONG chargée de leur accueil. Il n’empêche : chacun s’interroge sur les raisons qui ont poussé l’Espagne à accueillir les dissidents. "Selon la rhétorique officielle, il s’agit d’accompagner un processus de changement sur l’île. Les raisons sont d’abord culturelles et idéologiques", analyse Orlando Fondevila, 68 ans, un Cubain exilé à Madrid depuis 1997, employé de la Fondation hispano-cubaine, qui organise chaque jeudi des rencontres entre Cubains, et publie leurs livres, tel l’Art de la torture, de Normando Hernandez Gonzalez, un exilé amaigri et déprimé décidé à rejoindre sa famille à Miami. "Libérer les prisonniers du Printemps noir ne veut pas dire changer les lois. À Cuba, il n’y a toujours ni liberté d’expression, ni respect des droits de l’homme", estime une salariée espagnole de la Fondation, Christina Alvarez Barthe. Selon elle et Orlando, l’Union européenne n’a aucune raison de lever la "position commune", en vigueur depuis 1996, qui lie le développement de liens économiques au respect de la démocratie. Si l’UE s’y résignait, l’Espagne serait alors la première à en bénéficier.
Elena Larrinaga, 55 ans, n’imagine pas non plus l’Europe lever la position commune. Le 15 décembre, la présidente de la Fédération des associations de Cubains ira à Strasbourg pour la remise du prix Sakharov à Guillermo Fariñas, absent car interdit de visa. Dans son appartement luxueux du Madrid chic, elle a reçu fin novembre une quinzaine d’exilés cubains autour du cardinal Jaime Ortega de passage à Madrid. L’occasion pour eux de réclamer une amnistie politique, et la liberté de mouvement pour leurs proches.
"Quelles clairvoyance et noblesse chez ces hommes ! Les forcer à l’exil, ce n’est ni éthique ni logique", juge celle qui rêve, comme ici après la mort de Franco, d’une transition pacifique à Cuba. Un pays soumis à des réformes homéopathiques depuis que Raul Castro a succédé il y a quatre ans à son demi-frère, Fidel, et où 1 million d’emplois publics seront bientôt supprimés. Un pays dans lequel tous les exilés ambitionnent de retourner après l’avènement souhaité de la démocratie. Comme Alejandro Gonzalez Raga, peintre et journaliste, libéré en 2008 après cinq années de captivité à Cuba. À l’instar de nombreux dissidents, il est membre du Mouvement chrétien de libération, fondé par Oswaldo Paya, lui aussi Prix Sakharov en 2002. Dans son appartement loué par la communauté de Madrid, partagé avec sa femme et ses trois enfants, désormais espagnols d’adoption, Raga espère même, de loin, contribuer à la chute des Castro. Ne vient-il pas, dans cette optique, de créer l’Observatoire cubain des droits de l’homme ?
À Madrid, les Cubains libérés arrivent encore au compte-gouttes. Ils trouvent place à l’hôtel Welcome, accueillis par les plus anciens, comme le poète Raul Rivero et sa femme, Blanca Reyes. Parmi eux, Arturo Suarez Ramos, 46 ans, demeuré 23 ans en prison. Accusé de complicité de tentative de détournement d’avion, le jeune homme avait été condamné à mort, avant de voir sa peine commuée en détention à perpétuité. Les négociations entre l’Église et le régime lui ont ouvert la porte de la prison fin octobre.
Converti à la foi catholique et aux droits de l’homme derrière les barreaux, Arturo, rebelle mais non violent, n’a eu de cesse d’écrire des rapports sous le manteau pour dénoncer les violations des libertés. Un engagement qui lui a valu la sévérité du régime. Le voici libre mais vulnérable, la larme facile, avec sa femme rencontrée il y a trois ans au parloir, et son bébé de 9 mois, le "cadeau de sa vie. D’ici, nous pouvons seulement appuyer ceux qui luttent à l’intérieur du pays, mais notre pouvoir est dérisoire", regrette cet homme au visage émacié, chrétien qui refuse de succomber à la haine, arme de ses "bourreaux".
Comme lui, Adrian Alvarez Arencibia, 44 ans, affiche une vitalité et une foi incroyables après 26 ans de détention. Ce sportif condamné pour espionnage militaire, forte tête, jamais prêt à renier son combat pour la liberté, vient d’atterrir en Espagne avec neuf membres de sa famille. Assis près de lui sur son lit d’hôtel, près de leurs maigres bagages, son papa septuagénaire, revenu du communisme, dit son espoir teinté de lassitude. "Je désespérais que mon fils sorte de prison. En Espagne ou un jour aux États-Unis, près de ma fille, nous vivrons libres et sans mauvais traitement. C’est déjà beaucoup."
Corine Chabaud
Source:
La Vie
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